10 décembre 2015 – Géopolitique, puissance et influence

Publié le 10 décembre 2015 par Bruno Racouchot

Puissance et rapports de force au XXIe siècle : tel est le sujet du dernier hors-série de l’excellente revue de géopolitique, Conflits, dirigée de main de maître par Pascal Gauchon. Un n° de haut niveau qu’il faut à tout prix découvrir et faire connaître, tant il aborde une thématique difficile, avec brio, clarté, en se situant à rebours du mainstream ambiant. « La puissance est une idée vieille en Europe », constate d’emblée Pascal Gauchon. Mais, « écrasés par le poids des fautes passées, les peuples européens lui tournent le dos. Ils ont été puissants, ils en ont abusé, ils ont constaté que la puissance coûte financièrement, moralement et psychologiquement, ils ne veulent plus en payer le prix. La puissance est une idée neuve, ou renaissante, en Asie, en Russie, chez tous les pays émergents et, bien sûr, aux États-Unis. Eux ne partagent pas les états d’âme des Européens, ils ne se posent pas de questions métaphysiques, ils assument la puissance comme une évidence. Un peu à la façon de Gérard Chaliand qui, à la question « Pourquoi la puissance ? », n’a pas trouvé meilleure réponse qu’un éclat de rire. » Et Pascal Gauchon de poser la question-clé : « Qui préférerait l’impuissance à la puissance ? » 

Ceux qui n’en peuvent plus de la langue de bois officielle et des commentaires moralisateurs en matière de relations internationales, liront avec bonheur l’entretien que Gérard Chaliand a accordé à Pascal Gauchon. Un entretien qui s’ouvre sur un constat très clair : « Je crois qu’il y a peu de choses plus motivantes que le désir de puissance. » Enfonçant le clou, Gérard Chaliand ajoute : « La force est toujours admirée, il existe une aura de la force. » Et il précise : « Nous avons été marqués par un vocabulaire de la victimisation. Quand j’étais gamin, les conquistadores étaient des personnages extraordinaires. Depuis 1992, ce sont des salauds, des génocidaires. On est passé d’un excès à l’autre. C’est pareil à Gaza, on ne voit que des victimes, donc ils ont raison. La victimisation modifie radicalement la façon dont nous nous représentons le monde. L’école réaliste passe pour cynique. Mais notre morale molle ne l’est-elle pas tout autant ? »

Pascal Gauchon a eu la bonne idée de faire intervenir divers spécialistes sur la question des rapports entre puissance et influence qui nous intéresse ici plus particulièrement. Quid du soft power dans la configuration actuelle ? Quel poids pèse la puissance feutrée ? Le savoir est-il un nouvel enjeu de la puissance ?… A cet égard, Frédéric Munier évoque finement la thématique de la puissance de la séduction en disséquant les ressorts du soft power. D’autres experts dissèquent ensuite le jeu des puissances, établissant une hiérarchie entre elles, observant le rôle des émergents, et s’interrogeant sur le devenir de la France au sein de cette nouvelle donne. Enfin, le n° se clôt par une très pédagogique démonstration de Florian Louis, (auteur d’un solide ouvrage sur Les grands théoriciens de la géopolitique, PUF, 2014), sur le thème Penser la puissance. On comprend ici pleinement comment le jeu des idées est à même de structurer et bouleverser la donne dans la sphère si complexe des relations internationales. Son approche claire permet en particulier au néophyte de découvrir les œuvres des grands penseurs de la géopolitique, Ratzel, Haushofer, Mackinder, Spykman, Nye, Kagan… Une chose est sûre, dit-il en conclusion : de leurs « analyses très diverses émerge une conclusion. Aucun des auteurs cités ou presque ne remet en question la nécessité de la puissance. »  Un constat que nos prétendues élites et autres opinion makers ferait bien de méditer…

Bruno Racouchot, Directeur de Communication & Influence

Lire l’éditorial de Pascal Gauchon

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