22 juillet 2016 – La géopolitique du Brésil entre puissance et influence

Publié le 22 juillet 2016 par Bruno Racouchot

A deux semaines de l’ouverture des Jeux Olympiques qui se tiendront à Rio de Janeiro, le Brésil joue gros pour son image à l’international. Non seulement il vit une crise politique et économique majeure à l’intérieur de ses frontières, aggravée par une criminalité hors du commun (10% des homicides commis dans le monde le sont au Brésil, faisant de ce pays le plus violent au monde), mais encore il va devoir assumer à l’extérieur son rôle de puissance sur la scène internationale. Un défi qui semble plus que jamais délicat à relever, compte tenu de l’actualité terroriste et du démantèlement d’une cellule salafiste qui préparait un attentat contre la délégation française aux JO. Pour comprendre comment le Brésil entend s’afficher dans la sphère des relations internationales, il est utile de lire l’entretien que le professeur Yves Gervaise a tout récemment accordé aux notes CLES (Comprendre les enjeux stratégiques) de Grenoble Ecole de Management. Auteur d’un traité solide et clair, Géopolitique du Brésil (PUF, 2012), fin connaisseur de ce pays qu’il connaît depuis 1967, où il a enseigné et où il vit en partie, Yves Gervaise ne pratique pas la langue de bois.

Ainsi, quand se pose la question de savoir si le Brésil peut devenir une grande puissance, Yves Gervaise répond : « Il ne suffit pas d’avoir hérité d’un territoire immense, doté de richesses naturelles hors du commun, ni même d’avoir su construire une industrie de bon niveau… Non, avant tout, il faut d’abord avoir la volonté d’être  puissant. Or, peu de penseurs brésiliens se sont penchés avec sérieux sur un authentique projet géopolitique pour leur pays. A cet égard, on doit citer Geopolitica do Brasil, écrit par le général Golbery do Couto e Silva, qui reste un ouvrage de référence sur la question. Mais s’il est vrai qu’à plusieurs reprises, les gouvernements brésiliens ont eu la velléité de jouer un rôle majeur sur la scène internationale, ils n’y sont en réalité jamais parvenus réellement. Ainsi, avec Lula par exemple, on a cru voir se dessiner l’émergence d’une volonté de puissance, en renforçant le potentiel militaire du pays (par exemple en consolidant la coopération avec la France dans le domaine de l’armement) ou en déployant des efforts diplomatiques pour retrouver des liens forts avec l’Afrique. Sans réel succès il faut bien le constater. »

Reste alors la recherche d’un soft power susceptible de  projeter à l’extérieur l’image idéalisée d’un pays de plages, de samba, de football, de musique et de garotas maravilhosas (filles merveilleuses). En vérité, dit Yves Gervaise, « le Brésil a un modèle social et culturel spécifique qui tient à son histoire et dont je ne suis pas sûr qu’il soit reproductible sous d’autres cieux. En dépit de la devise du pays, Ordem e progresso – Ordre et progrès, inspirée par le penseur français Auguste Comte, les relations sont peu – voire pas du tout – fondées sur le rationalisme, bien plutôt sur le partage d’émotions, sur un langage affectif et corporel. Le Brésil est une société qui réagit à l’instinct et au sentiment. Cette donnée est impérativement à intégrer pour bien saisir la spécificité de la société brésilienne et l’architectonique des rapports sociaux. Les liens personnels y sont essentiels. L’image et surtout la télévision y jouent aussi un très grand rôle, en particulier avec les fameuses telenovelas, séries télés qui focalisent, via l’artifice sentimental, l’attention d’un pays où 95% des foyers disposent de la télé. Le Brésil vit sur une histoire relativement récente à l’échelle du monde, avec une culture venue d’ailleurs essentiellement, puisque se sont croisés et mêlés trois courants de peuplement : l’indien, l’européen et l’africain. En outre, n’oublions pas que nous sommes là dans le Nouveau Monde. Car le Brésilien appartient bel et bien au monde américain, lequel est un monde nouveau. Cela se voit de plus en plus aujourd’hui au quotidien, avec la perte d’influence européenne – notamment française – au Brésil, et la prépondérance du soft power américain.« 

L’analyse d’Yves Gervaise est aussi précise que réaliste. Elle rejoint celle de Christophe-Alexandre Paillard, auteur d’une étude intitulée Brésil, comprendre la crise, publiée sur le Diploweb, que nous évoquions dans un billet précédent. Comme le dit Yves Gervaise, « les Brésiliens sont un peuple gai, dynamique, entreprenant, qui nous montre la voie pour fluidifier humainement les rapports sociaux. Ce peuple vit sur un territoire qui regorge de richesses, où tout est possible. Mais en même temps, c’est un pays très dur, où tous les coups sont permis, où il faut pouvoir compter sur des relations fiables, ce qui se révèle à l’usage relativement difficile. Derrière la façade séduisante, c’est en réalité un pays aussi dangereux qu’imprévisible. Le compositeur et chanteur Antônio Carlos Jobim, dit Tom Jobim, l’avait parfaitement résumé en disant : « O Brasil não é para principiantes », le Brésil n’est pas un pays pour les débutants…«  Même et surtout en géopolitique, corriger les distorsions entre réalité et apparence pour exercer de l’influence reste l’un des objectifs majeurs du soft power. L’exemple brésilien le prouve clairement. Et à cet égard, les Jeux Olympiques vont être un révélateur de la capacité du Brésil à maîtriser ou non son image sur la scène internationale.

Bruno Racouchot, Directeur de Communication & Influence

Télécharger Géopolitique du Brésil, entretien avec Yves Gervaise 

Lire l’analyse de Christophe-Alexandre Paillard, Brésil, comprendre la crise

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