13 mai 2013 – Comment le soft power peut couler une industrie… ou la relever

Publié le 13 mai 2013 par Bruno Racouchot

La faillite de l’industrie française n’est pas à rechercher prioritairement dans des causes techniques, mais bel et bien en amont, dans les esprits de nos « élites ». Le maniement d’idées mal comprises – ayant malheureusement force de dogme – peut avoir des conséquences matérielles tragiques. « Aucun autre pays que la France, à partir de 1998, n’a mis en œuvre de façon aussi systémique et centralisée une pensée à ce point erronée que l’entrée revendiquée dans un monde post travail post industriel. » Ce constat se trouve dans l’introduction à l’étude Le Kapital pour rebâtir l’industrie, publiée en avril par Christian Saint-Etienne et Robin Rivaton sous l’égide de Fondapol, fondation pour l’innovation politique (www.fondapol.org). Ce court essai d’une trentaine de pages analyse les causes de la dégringolade de l’industrie française, mais surtout propose des voies pour inverser la tendance. D’où l’explication du titre qui fera sourire les connaisseurs du monde des idées par sa référence à Karl Marx… N’en déplaise aux thuriféraires des algorithmes, le jeu des idées est bel et bien… capital dans la vie économique.

Pour les auteurs, la période 1998-2012 « va se révéler le vrai révélateur de la déshérence de l’industrie française. La politique générale, marquée par l’abandon de la politique de désinflation compétitive et l’instauration de la réduction du temps de travail alimentée par une vision délirante d’un monde sans usines et d’une croissance tirée par la consommation, devient hostile aux entreprises. La politique industrielle se révèle mal appréhendée, l’aide est trop concentrée sur le problème académique de la recherche et développement, montrant un État trop interventionniste qui ne comprend pas qu’il faut laisser les entreprises investir. » La cause de cette mauvaise appréciation est à rechercher du côté de la pensée dominante. « La France a continuellement privilégié le consommateur face au producteur, car le modèle intellectuel dominant des élites était marqué par une conception keynésienne simpliste. La consommation est supposée être le véritable moteur économique car contrôlable par la distribution des revenus. Pour la favoriser, elle doit être servie par la production la moins chère, qu’elle soit nationale ou non. De fait, la part des importations de biens et services dans la demande intérieure a progressé de 16 % en 1996 à 20,2 % en 2002, puis 22,6 % en 2011« . Résultat ? « En faisant, à tort, de la seule consommation le moteur de la croissance, les dangers de la consommation à crédit ont été sous-estimés, notamment de la consommation financée par la dette publique. Et l’on a surtout négligé la capacité et la profitabilité productives, ce qui n’a pas permis l’essor des milliers d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), de 250 à 5 000 salariés, qui nous manquent si cruellement aujourd’hui. »

Et les auteurs de pointer le jeu pervers exercé par certaines idées. « Ce choix s’est opéré dans un contexte sociopolitique particulier. De ce point de vue, il faut s’intéresser à l’ensemble des livres, discours et articles qui accréditent cette option dès le milieu des années 1990, dont le livre de Jeremy Rifkin, La Fin du travail, publié aux États-Unis en 1995 et en France en 1996. Ce livre a eu un énorme retentissement et a popularisé en France le thème de la fin du travail et de la fin de l’ère industrielle fondée sur le travail de masse. » Vous avez dit soft power ? Pour preuve : « Le thème de la fin du travail, qui vient en partie des États-Unis, a été aveuglément mis en œuvre en France mais pas aux États-Unis. »

Ce basculement sera ensuite accéléré par l’idée que l’entreprise sans usines est la panacée. La conséquence ? « La sous-traitance complète des activités de production conduit à inverser le rapport de force entre des sous-traitants possédant rapidement les principaux savoir-faire techniques et prélevant une marge rendant trop chers les produits vendus par un donneur d’ordres sans capacités industrielles. » L’industrie n’est plus vue comme une activité noble, on ne jure plus que par les services. On en voit aujourd’hui les résultats… Les auteurs proposent donc toute une batterie de mesures pour redonner ses lettres de noblesse à l’industrie. Mais au-delà des seuls aspects techniques, leur premier mérite est sans doute de mettre en relief le fait que tout « travail de réforme s’accompagne donc d’un exercice de communication particulier. La décision d’investissement possède une très large composante psychologique et il faut faire sentir aux acteurs responsables de l’investissement qu’ils sont encouragés et soutenus. » A quand l’alliance de l’industrie et de l’influence ?…

Bruno Racouchot, Directeur de Communication & Influence

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